lundi 23 juin 2014

La Naissance

Je suis déjà venue ici-ou plutôt mes chaussettes-vous raconter la venue au monde de Petite Plume.
J'avais voulu que ce texte fasse sourire (surtout moi), j’avais envie de sourire de cette naissance comme on étale doucement du baume sur son cœur.

Je crois qu'aujourd'hui je peux. L'écrire, le dire, sans regrets ni amertume. Remplir la page pour la tourner.

Tout d'abord, vous devez savoir. Cette Petite Plume, je l'aime. Elle a au creux de mon cœur cette place immense qu'a tout autant sa grande sœur.Dès les premières heures je l'ai aimée et mes doutes se sont envolés.  Mais jamais rien n'effacera ce qui a été... c'est pourquoi je le dis, au nom de ce qui sera. Pour avancer, parce que je sens bien que si certaines choses aujourd'hui coincent c'est que cette partie-là n'est pas complètement réglée.

Toute à notre Bonheur, je n'ai pas hésité. Deux barres sur un morceau de plastique et déjà cette folle envie d'agrandir ma maternité. Toute à l'amour que je respirais, j'ai préféré ne pas voir ce qui déjà parfois enrayait la machine de cette vie à deux si neuve et pas tout à fait réelle. C'était si beau d'aimer qu'un enfant, surprise qui plus est, ne pouvait qu'illuminer un peu plus ce bonheur si...parfait.

Les premiers mois sont difficiles, je suis terriblement malade mais j'essaie fort de ne pas me rappeler ce que m'avait dit cette sage-femme lors de mon précédent accouchement. Ça ne peut pas être un signe que notre couple va mal. Certes, on ne se touche plus. Certes, j'ai plus envie de le fuir que de le suivre. Mais tout ça, ce sont les hormones, ça va passer, ça sera encore mieux, encore plus beau.

J'ai du mal à m'installer dans cette nouvelle vie à deux, alors que jamais ça ne m'était arrivé. C'est sans doute parce que c'est trop, son arrivée, puis ce bébé qui se loge en moi, la solitude souvent avec Petite Elfe, les nausées, la fatigue extrême. Doucement, tout commence à m'énerver. Son inaction, tout comme ses actes. Sa façon de faire, sa façon de vivre. Le partage des tâches quotidiennes. Son rythme de vie radicalement opposé au mien. Tout. Et cette fatigue, lancinante, qui me submerge...

Il y a des hauts bien sûr. Et puis des bas, souvent. Il y a la déception qui nous est renvoyée-que je n'attendais pas-à l'annonce de cette grossesse. Il y a l'homme que j'aime qui une nuit ne me rejoint pas dans son lit. Il y a ce matin où je crois que tout est terminé, où je commence à remplir mes valises et à déjà imaginer ce que sera le futur, seule avec cette grossesse, puis seule avec mes enfants. Peu importe, je sais que j'aurai la force, je n'ai pas peur. Je suis juste déçue.

Je crois qu'au fond c'est ce jour-là que tout s'est cassé. J'ai tout bien recollé les morceaux et j'ai mis ça sur le compte des hormones. Et puis...c'est devenu pire.

De tout m'énerve est arrivé le tout m'exaspère. Du tout m'exaspère a découlé le je ne l'aime plus. De la fatigue, de ma déception et de ma colère envers moi-même est né le dégoût. De cette vie nouvelle que déjà je déteste. De cet homme qui vit à mes côtés et sur qui je n'arrive même plus à poser mes yeux.

Mais j'imagine que les hormones n'y sont pas étrangères. J'attends, j'espère, je veux espérer plutôt. Un jour j'enfouis ma tête dans le sable, le lendemain je prends rendez-vous chez une psy. Mais le duo ne se reforme pas, c'est plutôt un duel qui se joue là et cette femme au milieu qui joue les arbitres.
Mais personne ne gagne, tout le monde perd. L'amour est mort, je le sais bien et je le fuis, de tout mon être.

Je ne suis que colère, c'est elle qui me maintient en vie. Elle et ma fille, dont les sourires chaque jour me rappellent que je n'ai pas vraiment envie de mourir. Peu importe si je me suis trompée. Peu importe ce que diront les gens. Peu importe si cela m'amène à faire place nette autour de moi. Peu importe et merde, aussi. J'ai mal et j'ai envie de tout envoyer valser. Lui le premier.

Je commence à me sentir mal dans cette maison que j'adore. Mon refuge, ma bulle envahie par cet homme devenu étranger et que toutes mes cellules rejettent. Alors je pars, je pars retrouver le cocon familial. Déposer les armes chez ma mère, réapprendre à vivre sans armure du matin au soir et l'épée au côté.

C'est à ce moment-là que la fatigue m'engloutit. Jusqu'ici j'ai tenu, résisté, et puis le flot des émotions a tout emporté. Je marche un peu, chaque jour, pour déclencher la naissance, pour rencontrer enfin cet enfant que je ne veux pas connaître. Je l'aime déjà bien sûr et en même temps... si elle n'était pas là, son père non plus ne serait pas à la maison. Si elle n'était pas là, je ne me serai pas engluée dans cette situation désespérée.

Je ne sais plus ce que je veux. L'élever seule, ne pas l'élever. Je ne sais même pas si je vais l'aimer autant que Petite Elfe tant cela me semble impossible. Je ne sais même pas si je vais l'aimer tout court d'ailleurs.

Évidemment, le moment arrive.

Je me souviens de cet accouchement si parfait pour Petite Elfe. La douleur largement supportable, le plus beau moment de ma vie.
J'avais juste oublié que les circonstances étaient différentes.
Cette fois-ci j'ai souhaité que le père soit ailleurs qu'à mes côtés, je pense franchement que j'aurais été capable de l'étrangler et pour le moins incapable de partager mon intimité avec celui que je considère désormais comme un étranger.
J'accouche avec ma mère pour me tenir la main, sans me juger, juste être là et partager.

Je ne sais pas si elle a eu si peur que moi. Ce jour-là j'ai cru que j'allais mourir. Ne n'exagère pas, je dois juste maintenant dire les choses, justement, comme elles sont. Le dire parce que je sens que cette ombre plane encore sur nous, que si Petite Plume a des difficultés avec le sommeil c'est lié à ce qui s'est passé, à notre histoire. Je veux passer à la suite du roman. Remplir la page pour la tourner.

J'ai cru mourir. Je n'ai même pas envisagé la péridurale, mon besoin de le vivre et-sans doute- de me punir aussi étant bien plus intense.
J'ai cru mourir de ce travail qui a duré trois heures et m'a paru trois jours.
J'ai cru mourir de ce bébé qui ne sortait pas tandis que je hurlais.
J'ai cru mourir lorsque j'ai croisé mon propre regard dans le miroir.
J'ai cru mourir en voyant cette femme blanche comme la mort et que l'espace d'un instant je n'ai pas reconnu.
J'ai cru mourir d'une souffrance que plus jamais je ne veux revivre.
J'ai cru mourir de cet instant qui marquait à tout jamais le lien inéluctable entre son père et moi. 

C'était dur de mettre Petite Plume au monde. C'était dur parce que c'était la suite logique de notre histoire, de cette grossesse terrible. C'était la mort de ces sentiments ambivalents et mauvais qui m'emplissaient toute entière.
C'était dur parce que ça signifiait qu'à jamais j'allais être sa mère en même temps que cet homme que j'en étais venu à détester serait son père. C'était dur parce qu'il allait falloir composer avec mes choix jusqu'à la fin de ma vie.
C'était dur, parce qu'à l'instant même où ses yeux s'ouvraient sur le monde, tout ce que j'avais imaginé était à présent mort.

Une mort pour une naissance.
La naissance.

6 commentaires:

  1. Toujours aussi poignante ;-). Une situation pas facile, on ne peut se mettre à ta place mais regarde Petite Plume, ses grands yeux noirs, ses bubulles et ses Mmmmmmm, ses sourires, ses petites mains qui cramponnent ta peau pour toujours et écoute les rires de Petite Elfe, ses petites réflexions rigolotes qu'elle seule sait dire.... Quoique l'avenir te réserve, tu prendras forcement les bonnes décisions pour vous 3. Je te soutiens de tout mon coeur ;-)

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  2. magnifique texte qui j’espère te fera du bien.Mettre des mots ...Admettre...Ça c'est fait.
    pS:
    les gens qui jugent sont souvent ce qui cachent bien des travers et beaucoup de tristesse!

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  3. Ton récit me laisse une boule dans la gorge. Je sentais tout cela plus ou moins, à distance, mais te lire... te lire...

    C'est poignant.
    A toi et tes filles, c'est plus fort que tout le reste.

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  4. Les larmes accrochees, je t écris. Je ne sais que te dire tellement je suis peinée de lire cette douleur. Cette naissance, ta naissance vers un futur. Je te souhaite de trouver la paix et la sérénité au sein de ton cocon. Je t embrasse tendrement toi et tes filles

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  5. Bouc j en ai des frissons.pleins de bisous ♥

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  6. A défaut de mots, je t'envoie de tendres pensées. J'espère que tu es heureuse dans cette nouvelle vie, tu mérites le bonheur.

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Et toi, tu en dis quoi?